Plusieurs études parues ces dernières années montrent que le secteur public cherche à s’approprier et à maîtriser les technologies des jumeaux numériques. Que ce soit le rapport Miroir, Miroir de la Caisse des Dépôts et Consignations, de l’appel à communs commun de l’IGN, le CEREMA et l’INRIA ou des projets lancés par de grands consortia (Destination Earth de la Commission Européenne, MINnD 2050, National Digital Twin Program de Grande Bretagne), le jumeau numérique s’inscrit en digne successeur des systèmes et bases de données géographiques dans l’histoire de l’informatisation, en repoussant plus loin leurs limites.
Se réinventer pour appréhender toute la complexité
Le jumeau numérique entend dépasser tous les systèmes existants en autorisant davantage de réactivité et d’anticipation dans la prise de décision des autorités publiques. Les jumeaux numériques se distinguent par leur cycle de vie plus inclusif, et une mise à jour native des données par construction. Souvent présenté comme une réplique virtuelle de la réalité fonctionnant en circuit fermé, le jumeau apporte cette capacité incomparable de capter, dans un cycle court, les signaux faibles et les nouvelles tendances sur un territoire que des approches traditionnelles n’auraient pu détecter. Le changement climatique brouille la prévisibilité et décuple l’ampleur des aléas naturels, comme ce fut le cas des inondations catastrophiques survenues fin octobre 2024 dans la région de Valence (Espagne) ou en février 2022 à Brisbane (Australie). Les villes, de plus en plus peuplées, doivent s’adapter tout en faisant cohabiter des usagers aux besoins concurrents. Tous ces nouveaux défis de nos territoires sont de plus en plus complexes à appréhender et nous obligent à repenser notre réponse numérique.
Des premières preuves de valeur
La réalisation d’un jumeau numérique sur l’estuaire de la Gironde est une excellente illustration de cette façon de réinventer notre approche systémique. Le projet GIROS (pour GIRonde OpenSource), commandé à Egis par le Grand Port Maritime de Bordeaux, montre comment l’installation de capteurs sur le fleuve, couplés à plusieurs modèles physicochimiques du milieu naturel, permettent de répliquer numériquement le comportement du fleuve Garonne depuis Bordeaux jusqu’à son embouchure. Ainsi plusieurs bénéfices peuvent-ils être satisfaits, tant à court terme pour optimiser les opérations de dragage du fleuve, qu’à long terme quand il s’agit de simuler l’accessibilité maritime du port de Bordeaux à horizon 2050.
A cette expérience exemplaire ont succédé plusieurs autres initiatives tout aussi remarquables. Les technologies d’acquisition massives de données par Lidar, en particulier, ont prouvé leur valeur ajoutée pour l’exploitation des autoroutes urbaines. Les nuages de points représentent des répliques numériques régulièrement actualisées, à moindre coût. Ils évitent aux exploitants-mainteneurs des inspections sur site, synonymes d’astreintes et de risque d’accident. Ces nuages de points peuvent même être le siège de simulations. C’est ce à quoi Egis s’est intéressé, fin 2022, pour l’autoroute urbaine Inner City Bypass de Brisbane (Australie). Sur la base des nuages de points utilisés par ses personnels d’exploitation, et avec le concours de Sensat, Egis a mis en œuvre un simulateur de crues. La disponibilité d’un tel outil avant les inondations spectaculaires survenues quelques mois plus tôt n’aurait, bien évidemment, rien enlevé du caractère exceptionnel de cette catastrophe climatique. Toutefois, le simulateur aurait sans doute aidé à repenser en amont certaines procédures d’exploitation, (fermetures de tronçons et mise en place de déviations) en tenant compte de l’impact de la vitesse de montée des eaux sur la circulation. Il aurait en outre probablement permis de mieux envisager quels équipements déplacer ou protéger , dans la mesure du possible, en amont et où implanter des zones de repli pour les populations, par exemple.
Simulation d'inondation sur un tunnel de l’Inner City Bypass de Brisbane.